vendredi 20 avril 2007

Planche 1

zoom sur les images
D'après un personnage de Dario Fo. Appelons-le Monsieur Loyal, ou le Clown, ou le Magicien, ou le Narrateur, ou encore El Expliquador.

Il est Celui qui fait se dérouler les scènes de ce livre, de tous les livres. Toute description de Lui est strictement impossible. De Ses mains naissent les univers comme la lumière surgit de l'ombre. Sa tête c'est le soleil, et la lune Sa mie.


Ou s'agit-il d'un dieu Tao, un sage chinois vêtu à l'occidental ?


En tout cas il est sur le devant de la scène et y présente au public sa comédie. Il a l'air bien joyeux, pas quelqu'un qui cracherait dans un verre de vin, un qui aime bien rire... D'ailleurs sa cravatte est constellée de onze points blancs, le marque du Fou, le nombre du Tao.


Ce livre s'ouvre sous de bons auspices.


Remarquez bien comment les jambes de Monsieur Loyal reposent sur deux cétacés, une dame baleine en train de passer un savon à son homme ; ces deux-là forment la paire, les deux colonnes qui soutiennent toute cette histoire. Le mâle, colonne de droite, est à l'amour - la femme, à gauche, est à l'exactitude, la proportion, la mesure, l'indispensable rigueur. Comme le Yang ne peut être sans le Yin et vice versa, ainsi amour ne peut être sans rigueur, ni rigueur se maintenir sans donner un signe d'amour.


A eux deux ils forment la colonne du milieu qui, elle, est invisible et par laquelle circulent et s'affirment les influences célestes et terrestres. Alors viennent à glisser les nuages, les merveilleux nuages, dans le silence de l'azur, tombent, montent les eaux, volent les oiseaux, chantent les fleurs, rafraîchies par un orage d'été sous les pas de l'homme et de la femme qui vont vite de par le pré.

Planche 2 et 3

Un crapaud géant et une vièrge, à peine couverte d'un bonnet de bain bleu.
Comme attiré par un aimant le reptile nage vers la Belle dévoilée. Elle, à son tour, taquine de son pied l'eau, l'appelle, l'allèche, tout en feignant de ne pas le voir... bleue est la femme !


Où se joue cette pièce ? Mais de derrière Rio jusqu'au-delà Tokyo et de dessous Soweto à plus haut qu'Oslo. A sa droite s'épanouit une série de méandres, qui ne connaît pas de fin mais cependant un début et ne peut être dessinée que de droite à gauche ; appelons ces croix, qui remplissent toutes les pages de cet album, les sceaux du Livre des Vivants.

La droiture de Dame Justice... immuable... inchangeable... stable... balise... port... creuset... utérus... Mater Deus.

La Matrice.

Maintenant le grand et libre désir d'amour du crapeau... son désir imbibe tout le bassin... par le feu poussé il nage vers elle... c'est normal... Monsieur Yang, comme le père Jacob chez Rachel, aimerait tant séjourner dans les tentes de Madame Yin, et tout le reste s'arrangera de soi-même...

Le mouvement juste... sensation éternelle... unique mouvement. Alors seulement adviennent les mots... rient les fauves... éclatent en gerbes les flots... souffle vent à travers le désert... fleurit la ceriseraie... Seigneur ! bourdonnent les abeilles... rugit le dragon. Seulement alors. Pas avant.

Car à jamais et pour toujours un veut être deux... pourquoi sinon Terre tournerait-elle autour de soleil ? Donnée de base... s'y accorder et cueillir immédiatement les fruits...

O chevaliers, levez donc vos bannières !

Planche 4

L'offrande de la femme renverse le crapaud. Comment ! Lui !? Objet d'amour ? D'amour sincère ? Miracle..!

Ses lèvres volent vers lui, Dieu du ciel, comment est-ce possible..! Le crapaud tressaille. Chaste, la trois fois très Belle clot les yeux quand le monstre vert s'approche d'elle. Abandonnée à lui, en pleine offrande, elle tend ses lèvres... le monstre qui ne veut plus être monstre saisit la chance de sa vie - à travers les yeux de la femme pour la première fois un rayon de lumière tombe dans les caves noires de son âme esseulée... Le monstre pan ! se transforme en prince... puisque depuis le début elle ne l'a pas vu autrement !

Emotions insoupçonnées... surgissent des nuées de papillons d'excitation... une très vieille peau tombe en morceaux... sous le pire, un sire !

Lui-même le plus étonné encore...

Un vent frais et nouveau lui envahit son coeur... de nouveaux gestes naissent... des mots nouveaux et vrais... force encore jamais expérimentée.

Finie la solitude. La féerie peut débuter. Qui suis-je ? Je est un autre. Le seul vrai.

Vertiges. Transformation, le crapaud s'est catapulté dans la bonne direction. Certes, le chemin est encore long et inévitablement se dresseront embûches et pièges, chausse-trappes - mais un bon démarrage est la moitié de l'ouvrage. Sans doute - les choses ne se font pas toutes seules - le sang, la sueur et les larmes couleront... mais plus jamais il ne pourra renier sa métamorphose...

O chevaliers, ceignez donc vos épées !

Planche 5

Le Fier Baiser en close-up.

Un baiser descend du ciel, un baiser monte des eaux. Toute la femme, tout son souffle est continuation, extension, cris de joie des corps célestes et terrestres ; elle couronne leur existence. De son nombril jaillissent les dix mille êtres.

Tao sourit fort derrière ses paupières et fait son travail. Point, pôle, jouissance - invisible, indicible, sans forme, hors espace-temps.

C'est l'offrande de la femme qui rend tout à nouveau possible pour le crapaud... c'est la femme oui qui ne s'en laisse pas conter... inébranlable... nullement gênée par des empêchements intérieurs ni par haine de soi. Sa franchise... cet art... cet art suprême... qui réchauffe soleil et égaye lune, réjouit les dauphins et transforme le crapaud en prince...
Un deux trois dix mille nouvelles dimensions se bousculent en lui, s'offrent au héros et élargissement à l'extrême son être. Le franc baiser amène le crapaud à sa destination.

La femme ? Un deux trois dix mille univers d'avance... Pour Dame Yin Sir Yang doit s'incliner et même mourir, car comme il fut déjà dit : si le grain ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul ; s'il meurt, il porte beaucoup de fruits...

O chevaliers, levez donc vos étendards et pavillons!

Planche 6

Dame Eve cependant, tant qu'elle n'est pas vue, se sent monstrueuse, elle aussi. Elle aussi a besoin du soleil d'Adam pour être totale...

Voyez comment il ferme les yeux humblement, et avec lui les Trônes, Seigneuries et Principautés - et regardez comment la femme jusqu'au bout garde son oeil fixé sur lui. Est-ce qu'elle le sonde ?

Dans la nuit enragée ses boucles se balancent sauvagement au vent... un axe bascule quelque part... paf ! une princesse nous est née... puisque depuis le début il ne l'a pas vue autrement !

Tu es beau, le plus beau des enfants des hommes, la grâce est répandue sur tes lèvres, aussi tu es béni de Dieu à jamais. Ceins ton épée sur ta cuisse, o héros, dans le faste et l'éclat va, chevauche, pour la cause de l'amour, ta main droite te guidera miraculeusement !

Pour toujours et à jamais lorsque deux âmes se trouvent, les cieux et la terre crient de joie, les singes virevoltent encore plus ivres à travers les bois et l'on entend nettement le cri des pampres retentir, rouler et tonner par-dessus les champs et les collines.

Toujours lorsque Lady Yin et Sir Yang font entre eux crépiter le feu ...tressaillent les étoiles ...rugissent les flots de plaisir ...jubilent les sources ...débordent de joie les fontaines ...chantent les cygnes et gazouille le poupon dans son berceau.

Où se joue cette pièce ? Mais depuis les profondeurs terrestres juqu'au-delà des astres, depuis derrière Acapulco jusqu'à passé Bornéo et de plus bas que Losetho jusqu'à plus haut que Meaux ou Saint-Malo.

O chevaliers, fermez donc vos heaumes et levez vos lances !

Planche 7

Ca y est, l''inévitable merveilleux a eu lieu, la magie, la féerie peut débuter, par exemple ici, au bord du vieil océan qui en a vu d'autres... Avec ce Milou fou-fou, déchaîné il court le long de la marée, à l'avant d'un tsunami il accélère, un os dans la gueule.

L'homme et la femme ne craignent plus rien, ils se sont jetés là où la mer se mêle au soleil, ancrés désormais dans ce point inexprimable, énigmatique, infini et sans forme (mais parfumé) d'où le tout sourd et où le tout retourne.

Quelle heure est-il ? Midi ?

Deux vélos... jetés dans le sable... contre les dunes... Pour les maîtres de la victoire, Sire Soleil et Dame Lune dansent au zénith et les flots chantent et murmurent.
Au loin un couple d'avocettes passe à gué un banc de sable. D'innombrables mouettes rient fort et filent en longues files indiennes par-dessus les blondes bosses de sable ; un bref instant une odeur de résine chauffée à blanc passe dans l'air.
A l'horizon apparaît un bateau de pêche toutes voiles dehors.

Ou s'agit-il du navire du Hollandais Volant ? La malédiction, est-elle donc vraiment en morceaux, comme il est murmuré déjà ici et là ?

Mais oui, elle a été brisée celle-là, cette malédiction est finie. Un axe a basculé, un vieux serpent a été écrasé.

O chevaliers ! tonnez donc vos taïauts taïauts taïauts !

jeudi 19 avril 2007

Planche 8 et 9

Un ours, symbole primordial du guerrier, du souverain, en sa fonction de défenseur absolu de la sainte doctrine.

Est-ce ici le premier matin du monde ? Des flots d'eau tombent en trombes d'en haut ; de gros rochers moussus saluent les premiers rayons caressant d'aurore. On peut même très bien entendre les eaux se frotter, se polir contre les cailloux, et respirer l'odeur entêtante aussi des bouquets de résineux tout autour. Est-ce le premier matin du monde qui vient ?

Un adonis apparaît à l'horizon.

A chaque union d'âme, Adam crée Eve - c'est là le secret. Il lève son pouce, ravi, interdit : son grand désir s'est réalisé, oui ! là devant lui ! la côte de son âme est devenue libre chair ...pour lui ! Miracle...
Elle répond à ces espoirs sans bornes, oui, elle est encore plus incroyable qu'en ses songes les plus fous il avait eu la folie de rêver ! D'or drapée elle se fraye un chemin vers lui, tête levée, princière altière, gracieuse et fière, couronne d'une oeuvre muette. Ainsi les choses vont-elles, tournent et roulent et virevoltent-elles.

Le grizzly contemple la scène et s'en repaît. C'est sa mission de garder le dépôt intégral de la sapience, car - il est sûr de cela - une fois ce Point principiel d'appui respecté, avec un peu de patience, tout s'organise de soi-même.

C'est là la recette du forgeron, c'est là le secret de la messe.

O chevaliers, éperonnez donc vos andalouses et vos juments !